A Madrid, les LGBT d'Afrique du nord plaident pour la dépénalisation
29 juin 2017. Depuis 2011 la revendication des droits LGBT gagne du terrain en Afrique du nord et en Méditerranée, mais la dépénalisation de l'homosexualité est encore loin dans bien des pays, dénoncent des militants participant à la WorldPride de Madrid.
En Tunisie, la fragile démocratie instaurée après la révolution de 2010-2011 a permis que la situation des homosexuels entre dans le débat public grâce notamment à l'autorisation de la liberté d'association. Mais l'homosexualité est toujours punie de trois ans de prison par le Code pénal dans un pays qui, paradoxalement, a autorisé l'avortement avant la France.
"Être efféminé présente un risque. Une fille masculine court un risque. Se donner la main aussi", même si dans la culture arabe les gestes affectueux sont tolérés entre les hommes, y compris le fait de s'embrasser sur les joues en public, ce qui n'est pas accepté entre hommes et femmes, témoigne Hafedh Trifi, membre de la direction de l'association tunisienne Justice et égalité (Damj). En Libye, mais aussi au Maroc et en Algérie, où le pouvoir a résisté aux révoltes du Printemps arabe, l'homosexualité peut également valoir une peine de prison. Et en Mauritanie la peine de mort est même prévue, même si elle n'est pas appliquée.
Lors d'un débat sur la situation de la communauté LGBT dans le monde musulman à l'Université autonome de Madrid, Hafedh Trifi a aussi évoqué "l'inhumaine" pratique du test anal, un moyen de preuve "dégradant" utilisé pour prouver des rapports homosexuels.
Dans son pays, la communauté LGBT a réclamé à l'occasion des élections législatives de 2014 la dérogation de l'article 230 du Code Pénal, qui punit l'homosexualité, mais s'est confrontée au "silence de tous les partis", déplore-t-il. Il ajoute qu'au sein du parti islamiste Ennahda, qui fait partie de la coalition de gouvernement et est le premier groupe au Parlement, des dirigeants "disent que c'est une maladie qu'il faut traiter, ou même qu'il faut tuer, emprisonner ou pousser à l'exil les homosexuels".
- Prison pour "débauche" -
En Algérie voisine, l'imam Ludovic-Mohamed Zahed, ouvertement homosexuel, dit avoir "l'impression qu'il n'est même pas possible de débattre" du sujet.
Selon lui, le pays est aux mains d'une "oligarchie militaro-économique" effrayée par la diversité. "Si les gens sont dans la diversité, dans le débat, (les élites) perdent leur pouvoir, ils le savent très bien (...) c'est facile de contrôler une population qui est uniformisée" affirme à l'AFP cet homme de 40 ans, installé en France depuis les années 1990.
Plus à l'est, en Egypte, la chute d'Hosni Moubarak en 2011 n'a pas non plus supposé d'ouverture. Si la loi n'y punit pas expressément l'homosexualité, les gays y étaient et sont toujours régulièrement condamnés à de la prison pour "débauche". Le militant et éducateur social espagnol Daniel Ahmed Said met cependant en garde contre tous les clichés sur l'homophobie dans les pays musulmans. En Afrique et au Moyen-Orient, rappelle-t-il, la colonisation française et britannique à partir du XIXe siècle a amené "une morale rigide sur ce qui touche à la sexualité". Auparavant, souligne Hafedh Trifi, les relations entre personnes du même sexe n'étaient pas pénalisées et les lois tunisiennes contre l'homosexualité sont apparues... à l'époque du protectorat français (1881-1956).
- "Menace" LGBT -
En Méditerranée le cas turc est des plus complexes.
La première Marche des Fiertés homosexuelles turque a eu lieu à Istanbul en 2003. Mais depuis 2015, les autorités l'interdisent.
En réalité, accuse Sedef Çakmak, militante et élue du district stambouliote de Besiktas, cette interdiction cache des motivations politiques et religieuses. "La Turquie est un pays laïc, donc ils ne pouvaient pas écrire ouvertement que l'interdiction (de 2015) était due au Ramadan", le mois de jeûne rituel du calendrier musulman. "Mais ils nous l'ont dit au téléphone", dit-elle. L'homosexualité n'est pas punie dans ce pays en état d'urgence depuis le coup d’État manqué de 2016 contre le président islamo-conservateur Recep Tayyip Erdogan. Mais depuis qu'en 2014, quelque 80.000 personnes ont défilé à la Marche des Fiertés d'Istanbul, le pouvoir a "vu que le mouvement LGBT était un acteur politique et a commencé à le percevoir comme une menace", ajoute la militante de 35 ans.