L' Edito Henri Désiré N'ZOUZ : HOMO-IMMIGRATUS…

14 septembre 2015 : Ce qui alimentait les conversations et suscitait les passions en Europe, depuis de longues années, est devenu une réalité palpable, implacable…presque dérangeante. L’immigration, véritable chance pour les uns et fardeau pour les autres, n’est plus une vue de l’esprit ni un doux euphémisme, il s’agit désormais, au regard des images dont nous sommes abreuvés depuis quelques semaines, d’un sujet majeur et d’un thème incontournable dans la vie internationale et les relations entre Etats. Mieux, nous assistons à l’émergence d’un nouveau type d’homme, « l’Homo-Immigratus ». Au-delà des raisons souvent légitimes qui justifient cet exode massif, il convient de ne pas perdre de vue les véritables ressorts et les conséquences incalculables d’un phénomène qui s’inscrit dans une tradition multiséculaire mais qui aujourd’hui, dans un monde crispé et en mutation perpétuelle, est potentiellement porteur des germes d’incompréhension, de conflit et de repli sur soi. A ceux qui répètent à l’envi qu’on ne peut pas accueillir « toute la misère du monde », je tâcherai de démontrer les incohérences d’un excès de langage, désormais tombé dans le domaine public à cause de l’instrumentalisation des uns et l’angélisme béat des autres.
Une Bastille nommée « Europe »
A bien y regarder, l’énergie du désespoir qui semble animer les centaines de milliers de migrants, en quête d’un avenir meilleur en Europe, s’apparente à la prise de la Bastille, cette citadelle jadis imprenable qui finit par céder à l’irrésistible pression d’un peuple en colère. Dans le cas d’espèce, c’est une irrépressible rage de survivre qui constitue le moteur même de ces hommes, ces femmes et ces enfants fuyant les conflits ou la misère de leurs pays.
Face à cette arrivée, massive, presque incontrôlée, l’Europe a fini par perdre son sang-froid au point de parler de 28 voix différentes, discordantes et dissonantes. Un véritable tragédie grecque et un indécent jeu de rôle dans lequel se sont précipités des pays que l’on croyait teintés d’humanisme et de tolérance. Ainsi, de Budapest à Bruxelles, en passant par Paris, Londres et Berlin, que n’a-t-on pas entendu ? Un discours xénophobe aux relents racistes en Hongrie ; des amalgames insoutenables en Belgique au sujet du droit au logement pour les réfugiés ; une mise en demeure flegmatique venue de Londres pour justifier sa sortie de l’UE ; la menace à peine voilée de Berlin de revenir sur Schengen ; les ambiguïtés françaises sur la question…Bref, chacun a cru bon de voir midi à sa porte, tout en prenant soin de se donner bonne conscience face à l’exaspération d’une opinion publique partagée entre « devoir d’hospitalité » et « fermeté inflexible ».
L’Europe divisée
Cela fait plusieurs mois que les Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’UE peinent à s’accorder sur une juste répartition des immigrés, suite aux multiples naufrages et leurs cortèges de disparus en méditerranée. A force de se renvoyer la balle, les dirigeants européens se retrouvent aujourd’hui avec la plus chaude des patates, incapables d’agir et tétanisés par les enjeux.
Certes, il y a les chiffres annoncés par certaines capitales, selon la zone géographique on passe du simple au triple, voire au décuple. A ces comptes d’apothicaires destinés à la consommation extérieure s’ajoutent les arrière-pensées politiques et politiciennes de ceux qui surfent avec un certain bonheur sur cette vague migratoire, désignant à la vindicte populaire les responsables à venir de tous les maux (chômage, insécurité).
De ce choc ces images venues des quatre coins d’Europe naissent forcément les amalgames et les clichés les plus révélateurs du fantasme du « grand remplacement » théorisé par un esprit malade devenu la référence et le maître à penser des partis xénophobes et d’extrême-droite du continent. Du Front National à la NV-A, en passant par le FPO autrichien et Aube Dorée en Grèce, chacun y va de sa petite idée pour « résoudre le problème » et enrayer cette « invasion ».
L’honneur perdu des monarchies du Golfe
Une carte circule sur les réseaux sociaux ces jours-ci. On y voit le nombre de réfugiés syriens accueillis par les pays de la région. Près de 2 millions en Turquie, plus d'un million au Liban et plus de 600.000 en Jordanie. Mais le chiffre tombe à zéro pour l'Arabie saoudite, le Qatar et les autres monarchies du Golfe. Une honte !
Pour autant, la réalité est bien plus prosaïque qu’on ne l’imagine : Les monarchies du Golfe ne sont pas signataires des Conventions des Nations Unies sur les réfugiés. Elles se méfient d'un afflux de migrants alors que les citoyens de ces pays sont déjà minoritaires parmi des millions de travailleurs étrangers installés dans le Golfe. Enfin, les Etats de la région s'inquiètent du risque de déstabilisation politique que pourrait représenter l'accueil de nouveaux immigrants. Reste à savoir si les riches monarchies pétrolières pourront maintenir longtemps cette politique de la porte close.
Le silence assourdissant des Africains
Même s’ils sont minoritaires dans l’afflux des réfugiés observés ces derniers jours en Europe, les Africains brillent par leur absence dans ce débat. Quel contraste saisissant entre des Africains qui se noient en méditerranée et des Arabes venus de Syrie ou d’Irak qui débarquent par bateau ou par train à destination ! Face à cet épineux problème, la voix du continent noir et de sa diaspora fait cruellement défaut, ne serait-ce que par solidarité face à l’intolérance et l’inhumanité déplorée ça et là !
Mais où sont donc passés ces belles « consciences » et tous ces donneurs de leçons plus prompts à stigmatiser les errements de leurs élites que de réfléchir sur les voies et moyens pour sortir de l’impasse ?
Vous avez dit « misère du monde » ?
Au regard de ce qui précède, il m’a paru judicieux d’apporter ma modeste contribution pour contenir ma frustration, mon indignation qui croît chaque jour en entendant les politiques occidentaux, et singulièrement européens, nous abreuver de chiffres hors-contexte censés nous démontrer que nous sommes une forteresse assiégée. C’est aussi une manière de contenir ma tristesse de voir tous ces gouvernements si tétanisés par l’influence de l’extrême droite dans le champ politique qu'il finit par rentrer dans son jeu...
Avec le recul j’en ai déduit que les gens finissent par s'y perdre et par se demander si, vraiment, on accueille trop de demandeurs d’asile en Occident. Et pour ce qui est de la part des uns et des autres on va le voir, malgré l’image que certains pays veulent se donner, la plupart sont loin d´être exemplaires.
Selon Eurostat (Organisme européen chargé des données statistiques à l’échelle communautaire) en ce qui concerne les demandeurs d'asile – c’est à dire des personnes ayant fui leur pays parce qu’elles y ont subi des persécutions ou craignent d’en subir et qui sont en quête d’une protection internationale – la France a enregistré 62.800 demandes d’asile en 2014, loin derrière les Etats-Unis (88.400) ou d’autres pays d’Europe comme l’Allemagne par exemple (202.700 demandeurs), la Suède (81.200) ou l'Italie (64.600).
Et si on rapporte ce chiffre à la proportion de la population de chaque État membre de l’UE, ce qui est plus significatif, les taux les plus élevés de demandeurs ont été enregistrés en Suède (8,4 demandeurs d’asile pour mille habitants), devant la Hongrie (4,3), l’Autriche (3,3), Malte (3,2), le Danemark (2,6) et l’Allemagne (2,5). La France, grande donneuse de leçon, n’arrive qu’en douzième position (1 demandeur d’asile pour mille habitant). La France n’est pas non plus le pays qui accorde le plus de statuts de réfugié (ce qui constitue l’aboutissement « positif » de la demande d’asile) : en 2014, dans l’UE, 45% des demandes d’asile ont été reconnues positives. Le taux d’accord en France pour 2014 était quand à lui de 28%, selon l’OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides). Donc pour la France si généreuse, on repassera.
Et si on regarde au niveau mondial, quel est selon vous, le pays qui accueille le plus de réfugiés ?
Ca doit être en Europe pour qu’on nous répète inlassablement que c’est un si lourd fardeau…Et bien non, figurez-vous ! C’est le Pakistan qui arrive en tête des statistiques du HCR (Haut-Commissariat aux Réfugiés), avec 1,6 million de réfugiés, suivi de l’Iran avec 857 000 réfugiés et du Liban qui en compte 856 000.
Pour la petite histoire, le Liban a, sur son sol, 178 réfugiés pour 1 000 habitants, ce qui, rapporté à la France, donnerait quelque 12 à 15 millions... Or, à titre d’exemple, on estime à environ 165.000 le nombre de personnes disposant du statut de réfugié politique en France (0,29% de la population). C’est une goutte d’eau, les Européens sont tout à fait en capacité de les accueillir.
Idées reçues
Contrairement aux idées reçues, ce sont les pays en développement qui reçoivent la majorité des personnes en demande de protection – 90% des demandeurs d’asile et des réfugiés vont dans des pays proches ou frontaliers, donc l’Europe n’est absolument pas la zone du monde la plus affectée. Par rapport à la situation des réfugiés syriens par exemple, c’est encore plus flagrant. Alors que le nombre de déplacés va bientôt atteindre la barre des 4 millions, l'ONU a demandé que 30.000 d'entre eux soient « réinstallés » dans des pays occidentaux. L’Allemagne a promis d’en accueillir 20.000, la Suède 1200, la France, devinez combien ? 500.
L’immense majorité de ceux-ci (97%) s’installent au Liban, en Jordanie, en Turquie ou en Irak. Nous sommes loin d’être envahis. Le monde entier ne rêve pas de rejoindre l'Europe. Relisez les chiffres ci-dessus pour comprendre à quel point c’est faux.
« Homo-Immigratus » : d’abord un être humain
On a généralement tendance à réduire le migrant à son statut de migrant, comme si l’unique but de sa vie était de venir frapper à notre porte. Il importe de rappeler que derrière chaque demande d’asile se cache un homme ou une femme avec son histoire, son passé, un homme ou une femme qui a grandi quelque part, a eu une enfance, a des attaches, un endroit où il s’est senti chez lui. Pensez à ces récits ahurissants, hallucinants et cauchemardesques, ces tranches de vies brisées totalement surréalistes…Qui voudrait vivre ca ? Franchement, qui ? Sans parler des trajets abominables pour atteindre l’Europe tristement illustrés par les récents naufrages en Méditerranée et le corps sans vie de cet enfant syrien abandonné de tous sur une plage !
Vous pensez que quand on vient de pays comme la RDC, le Mali, la Somalie ou l’Erythrée on vient parce que le système d’allocations est plus avantageux en Europe que chez soi ? Il faut arrêter la plaisanterie, imaginez un instant ce que cela représente de tout quitter et vous comprendrez qu’on part parce qu’on n’a pas le choix toujours le choix. Vous voudriez vous, rester dans un Etat où règne la terreur, la guerre, où vous avez peur chaque jour pour vos enfants ?
Renseignez-vous sur les régimes en Somalie ou en République Démocratique du Congo, demandez-vous si vous resteriez en Syrie dans la situation actuelle. Ou en Russie si vous êtes menacé de mort parce que vous avez écrit un texte qui déplaît aux autorités. En Guinée où votre fille se ferait potentiellement exciser comme vous dès le plus jeune âge.
L’espoir d’une vie meilleure est équitablement partagé sur notre planète et ne nous est pas réservé parce que nous sommes né du bon côté de la barrière.
Cessons les amalgames et les lieux communs
Aujourd’hui, et singulièrement depuis quelques jours, l’immigration est toujours présentée comme un problème, alors même que de nombreuses études indiquent que l’immigration est positive pour de nombreux pays européens en termes démographiques, en termes de croissance, de savoir, de diversité et qu’elle rapporte même de l’argent. C’est donc le regard d’une certaine opinion mal informée ainsi que celui du microcosme « médiatico-politique » sur les migrants qu’il faut réussir à changer. Il convient aussi et surtout de ne pas céder à la tentation et aux discours populistes qui prospèrent à l’aune de la montée de nombreux mouvements d’extrême-droite européens qui trouvent là un exutoire et un terrain fertile en ces temps de récession économiques. Les démocraties européennes, plutôt que de se déchirer et se perdre en conjectures, peuvent tout à fait accueillir ces migrants, et au lieu de succomber à un populisme mortifère, devraient réfléchir à une politique migratoire de manière plus sereine et apaisée et arrêter de faire des migrants les boucs émissaire de nos sociétés.
Henri Désiré N'ZOUZI
Consultant Médias
Conseiller en Géostratégie